Rappel:
(sur "Doctissimo"):
L'utilisation de plantes médicinales interdite par l'Europe ?
Lundi 21 Mars 2011
Une pétition du "Collectif pour la défense de la médecine naturelle" est actuellement abondamment diffusée via internet. Elle dénonce la fin de la possibilité d'utiliser des plantes médicinales, programmée pour le 30 avril. Pourtant les plantes médicinales pourront toujours être utilisées en France, même si leur enregistrement comme médicament risque d'être plus difficile, en particulier pour les petits producteurs. Retour sur les éléments d'une polémique.
Une pétition dénonce de nouvelles contraintes et appelle à la résistance
Sur le site Defensemedecinenaturelle.eu, un texte du "Collectif pour la défense de la médecine naturelle" (pas de mention sur l'origine et la composition de ce groupe), déjà signé par plus de 106 000 personnes, affirme que la transposition dans le droit français d'une directive européenne, la THMPD (Traditional Herbal Medicinal Products Directive) va imposer des procédures d'agrément certes "simplifiées par rapport aux médicaments normaux, mais néanmoins extrêmement lourdes pour des petits producteurs" de plantes médicinales.
Conséquence, cela rendrait illégaux "du jour au lendemain des dizaines de milliers de traitement efficaces, d'un usage courant depuis des milliers d'années et sans les effets secondaires des médicaments modernes issus de la pétrochimie." Ce Collectif dénonce l'argument "sécurité" et estime qu'il s'agit d'une restriction de "notre liberté de choisir nos thérapies", "pour le seul profit des multinationales pharmaceutiques".
Mais s'il n'est évidemment pas question de nier le problème des effets secondaires des médicaments usuels (problème illustré cruellement récemment par l'affaire Mediator ®), il semble cependant que cette pétition extrapole de manière inappropriée les conséquences de l'application de cette directive européenne.
La directive européenne vise seulement à réglementer les produits appelés "médicaments"
La directive 2004/24/CE du 31 mars 2004 a été écrite pour réglementer "les demandes d'autorisation de mise sur le marché d'un médicament" à base de substances végétales. Ce texte ne prévoit donc pas d'interdire la médecine naturelle par les plantes, mais met en place "un régime d'autorisation spécifique (enregistrement) pour les médicaments à base de plantes qui, parce qu'ils satisfont à certains critères, peuvent être qualifiés de médicaments traditionnels à base de plantes", comme le rappelle l'Afssaps (l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé).
Ce régime d'autorisation spécifique est allégé par rapport à un médicament habituel, en raison "des caractéristiques particulières de ces médicaments et, notamment, de leur ancienneté" selon la directive. Cet enregistrement allégé dispense de réaliser des essais cliniques de bonne efficacité et tolérance "puisque son efficacité est plausible du fait de l'ancienneté de l'usage et de l'expérience".
Néanmoins il faut faire la preuve de l'usage ancien (au moins 30 ans, dont 15 ans dans l'Union Européenne) et établi (efficacité, non-nocivité démontrée), ce qui reste lourd et difficile à effectuer pour les petites structures. Ce qui ne veut pas dire cependant, comme l'affirment pourtant les auteurs de la pétition, que cela va entraîner du jour au lendemain l'interdiction de"dizaines de milliers de traitements efficaces".
Comme le souligne Thierry Thevenin, producteur-cueilleur de plantes aromatiques et médicinales , et membre du Syndicat S.I.M.P.L.E.S qui regroupe 80 producteurs-cueilleurs, les arguments de cette pétition sont donc bien erronés, même s'ils mettent en lumière l'inflation galopante des outils et procédures réglementaires qui pénalisent les petits acteurs de la filière.
Les petits producteurs d'herbes médicinales pénalisés ?
Les gros laboratoires produisent eux-mêmes des médicaments de phytothérapie, médicaments qui devront donc répondre aux exigences d'efficacité et de tolérance pour être mis sur le marché. Quant aux fabricants de compléments alimentaires qui souhaitent les distribuer comme médicament en pharmacie, ils ne pourront être autorisés qu'avec un dossier scientifique sérieusement étayé (ancienneté, efficacité, tolérance). Sinon ils peuvent le vendre comme complément alimentaire, auquel cas c'est l'agence européenne des aliments (Efsa) qui l'évaluera.
Ces procédures d'enregistrement, même allégées pour les plantes anciennement connues, sont fastidieuses et coûteuses, ce qui favorisera de fait les grosses structures. Néanmoins ces précautions, qui reviennent à considérer les médicaments à base de plantes comme n'importe quel médicament ou presque, semblent logiques : que dirait-on si un médicament phytothérapeutique provoquait des effets secondaires négligés en amont par les autorités et/ou le fabricant ?
Les plantes médicinales pourront toujours être cultivées et vendues
L'application de cette directive n'interdira donc pas les tisanes, onguents ou sachets d'herbes traditionnelles vendues en dehors des pharmacies, ni la culture des plantes concernées.
Actuellement il y a en France 148 plantes médicinales "libéralisées" (disponibles hors pharmacie) inscrites à la pharmacopée, comme la bourrache, l'eucalyptus, la mélisse, la verveine, etc. (liste complète sur le site Legifrance.gouv.fr).
Cette liste de spécialités a été établie par l'Afssaps sur des critères de sécurité et de toxicité, ce qui a exclu d'autres plantes, comme la badiane du Japon (alors que la badiane de Chine est autorisée).
Ces 148 espèces végétales peuvent être cultivées et "vendues par des personnes autres que les pharmaciens" : magasins diététiques, bio, marchés, etc.
Pas de formation spécifique pour les vendeurs en dehors des pharmacies
Reste cependant la question du mode d'utilisation des plantes en vente libre, même si elles sont censées être sans danger. Il n'existe plus de formation d'herboriste en France (hormis un diplôme spécifique réservé aux médecins et pharmaciens), depuis 1941 et sa suppression par Pétain, à l'inverse de ce qui se fait, par exemple, au Royaume-Uni, en Belgique, Allemagne, Suisse ou en Italie. Résultat, ce métier a quasiment disparu en France, ce qui fait que ces plantes ne sont pas vendues par des personnes formées scientifiquement au bon usage de ces plantes (sous quelle forme les utiliser ? En quelle quantité ? Quand s'inquiéter ? etc.).
Cette question est pour le moment évitée par le législateur français : interrogée début 2010 par le sénateur socialiste du Finistère Jean-Luc Fichet sur une nécessaire reconnaissance d'un diplôme d'herboriste en France, Rama Yade, alors secrétaire d'État chargée des sports, a estimé que les plantes potentiellement dangereuses étaient vendues en pharmacie, alors que les 148 autres, évaluées par l'Afssaps, "ne présentent pas de danger" et peuvent donc être vendues en dehors du circuit officinal.
En conclusion, cette directive devrait donc surtout sécuriser les médicaments phytothérapeutiques vendus en pharmacie. Quant aux plantes médicinales vendues hors du circuit pharmaceutique, rien ne changera a priori, contrairement au ton alarmiste de la pétition. Il faut cependant rappeler qu'utiliser sans avis médical une plante, même banale, peut présenter des risques, ne serait-ce que de passer à côté d'un diagnostic nécessitant un traitement spécifique...
Jean-Philippe Rivière
http://news.doctissimo.fr/l-utilisation-de-plantes-medicinales-interdite-par-l-europe-_article7817.html